On a quitté la région
soulevé la soute repéré des layons
séparé les plus vieux des plus fins
loin on a pris à droite et plus rien
ouvert la forêt ajouté des essences
accéléré en sens contraire regardé
par tous les vitraux l’éther crasse
on a freiné attendu puis trouvé le sentier
les montagnes s’avançaient sur nous
jusqu’aux neiges la route culminait
on a blanchi
on a campé marché
dans les sentes coupé du bois en petites roches
on a détruit nos photos nos cahiers nos visages
on a tout jeté au feu
déchiré nos ceintures mangé les baies
escaladé une butte perdu un rein
claqué des cuillères sur nos jeans miré Vénus
assise dans le noir bouilli l’eau tamisé l’or
ricoché caillou tout léché deux par deux
eu soif joui fort pas vu l’ours pas vu l’elfe
évité les entailles en déboulant sans vie
de terreur on a vomi dans nos mains en coupe
trottiné sur le pont suspendu chié ri hurlé crié
sali les voûtes les fleuves
replacé un torrent dans son lit
balancé la monnaie dans l’étang récupéré sa magie
peint un miroir lavé les ruches
enfoui une étoile dans un cœur rocheux
esquivé les vœux les séquelles les orties
remâché de vieilles gommes
fait dévier la sueur la fraîche
émis le soupir du cow-boy
troué la girouette volé la tarte
fauché la dernière feuille de l’orme
on a gravé nos noms le jour l’année
zippé nos manteaux
on a sauté
Annie Lafleur, « On a quitté la région... », Bec-de-lièvre, Le Quartanier, 2016.